Chère Clémentine, Tu es en CE1 dans la classe de Marie-Françoise, tu apprends la table de trois, tu n’aimes pas trop jouer au ballon prisonnier à la récré, à la princesse non plus. Tu aimes te déguiser, inventer des spectacles, grimper à la cage aux écureuils, écrire des histoires. On t’explique qu’il ne faut pas dire de gros mots, c’est vilain -surtout dans ta bouche, à serrer les genoux en t’asseyant -surtout quand tu ne portes pas de collants. Un jour, dans quelques mois, la directrice de l’école t’appellera au tableau pour désigner ton short aux autres élèves. Trop court. Quand tu en parleras à tes parents, c’est le short qu’ils rangeront au fond d’un placard. À la récré, le terrain de foot occupe les trois quarts de l’espace disponible. Le ballon ne t’est pas accessible. Souvent, au retour de leurs voyages, tes grands-parents te rapportent des poupées de collection. Il faut les ranger dans une vitrine. Pour ton frère, c’est une voiture télécommandée. Plus tard, on t’interdira de prendre le bus la nuit ou de rentrer à pied car l’espace public n’est pas sûr pour toi. Tu grandiras et tu oublieras. Tu verras les autres filles en rivales parfois. Tu te sentiras plus forte juchée sur des talons et dans le désir des autres. Tu seras d’accord sans y penser avec les jambes écartées qui prennent toute la place sur les banquettes du métro, tu la fermeras sur l’écart de salaire entre Jonathan et toi. Encore plus tard, une petite fille sortira de ton ventre et avec elle la petite fille que tu es sortira pour de bon. À celle-ci, je promets de ne plus chercher à éteindre la colère, de l’autoriser à pisser debout, à écarter les genoux en s’asseyant, à dire des mots jolis et d’autres gros. A être puissante ou vulnérable, audacieuse, humble, à sourire ou faire la gueule si ça lui chante. Quand tu liras cette lettre, dans cinq ans ou dans dix, le monde sera peut-être un endroit un tout petit peu plus juste. Ce sera mon combat je le choisis pour toi. Je t’aime fort, Clémentine ❤️ |